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La COVID-19, une épidémie parmi d’autres ?

La pandémie qui nous frappe aujourd'hui semble être une situation sans précédent. Pourtant, ce n'est pas la première épidémie dans l'histoire de l'Europe, ni du monde. Le point avec Evelyne Samama, professeur d’histoire ancienne, spécialiste de l’histoire de la santé, de la médecine et des politiques sanitaires dans l'Antiquité.

1/ Depuis combien de temps sait-on qu'il existe des pandémies et combien de temps durent-elles en moyenne ?
« Si épidémies et pandémies sont présentes sur terre depuis l'origine de l'humanité, leur trace historique n'existe évidemment que depuis la maîtrise de l'écriture.
Une remarque liminaire sur le mot « peste » qui désigne de nombreuses pestilences antiques : il s'agit de la transcription du latin pestis, qui a bien donné le français « peste », mais signifie « pestilence, épidémie » de manière générale. Parler de la « peste d'Athènes » en pensant à la maladie ainsi nommée de nos jours est donc une erreur. D'après les témoignages des contemporains comme l'historien Thucydide (ca 460-400 av. J.-C.), qui décrit l'épidémie, vraisemblablement de typhus, qui a frappé Athènes en 430-429 av. J.-C., puis en 427-426, il semble que ce mal a sévi entre une et trois années et a connu un retour, deux à trois ans après la première vague. Les épidémiologistes confirment cette périodisation et estiment actuellement à trois ans sans cas déclaré le délai après lequel on peut parler de disparition d'une maladie ».
 

Les épidémies, une histoire à répétition

 

2/ Peut-on parler d'une histoire des virus/des pandémies qui se répète régulièrement ? Quelles ont été les plus marquantes ?
« Comme les hommes, les épidémies voyagent en suivant les routes de commerce et progressent à la vitesse des déplacements, autrefois à pied, à cheval, en voiture, désormais en avion. Elles se répandent ainsi régulièrement. Si aujourd’hui elles sont en général rapidement identifiées, les épidémies n'ont jamais cessé sur la planète, qu'elles soient causées par un bacille, par exemple le choléra ou la peste, un virus comme la grippe, ou d'autres agents pathogènes. Pour l'Europe et les régions occidentales de l'Asie, la première pandémie apparait avec la peste bubonique en 542 de l'ère chrétienne, à l'époque de l'empereur Justinien sous son règne de 527 à 565. Tuant en trois ou quatre ans entre un quart et un tiers de la population, selon les auteurs de l'époque Agathias et Procope de Césarée, elle est l'une des plus meurtrières qui soit connue.
Mais celle qui laissa des traces plus importantes dans la mémoire collective fut certainement, en Europe occidentale, la peste bubonique et pulmonaire à laquelle, par suite d'une erreur de traduction au XVIIe siècle, on appliqua le qualificatif de « noire » et qui causa, entre 1347 et 1352, la mort de 30 millions de personnes, quasi la moitié de la population européenne, reprend l’historienne. Elle demeura en Europe pendant plus de quatre siècles, sous une forme endémique, resurgissant de temps en temps, comme à Londres en 1665-1666, pour tuer de 70 000 à 100 000 personnes, à Marseille, en 1722 où elle emporta à peu près 50 000 habitants, ou à Messine en 1770-1771. Elle est encore présente à Madagascar, en 2017.
Le choléra, dû à un bacille, c’est-à-dire une bactérie, a connu six pandémies au cours du XIXe siècle, entre 1817 et 1899, dont la seconde, la plus célèbre aurait fait 19 000 morts à Paris de mars à septembre 1832. Le mal, dont John Snow, un médecin anglais a, lors de la troisième vague, en 1854 à Soho (Broad Street), compris qu'il était propagé par une eau contaminée, a encore ravagé, en 1892, dans des circonstances similaires (pauvreté, surpopulation, accès à l'eau potable contaminé) dans le quartier du port de Hambourg. Le choléra perdure dans une septième vague (Pérou, 1990, Haïti, 2012).
Si d'autres épidémies, d'origine bactérienne comme la fièvre typhoïde, la syphilis, la diphtérie ou la tuberculose, ou bien virale, comme la variole ou la fièvre jaune, sont désormais curables, de nouvelles maladies apparaissent, comme celles liées à l'immunodéficience provoquée par le HIV, qui a tué 30 millions de personnes, ou causée par le filovirus Ebola, dont la létalité est de plus de 80 %.
La guerre, la pauvreté, une alimentation carencée, des zones surpeuplées et un manque d'hygiène offrent à toutes les maladies un terrain de contagion facile ».
 

La quarantaine, une pratique répandue dès 1377


3/ Quels impacts sur les populations ont été engendrés par les plus grandes pandémies ? Pendant et après.

« La perspective d'une mort rapide, douloureuse, inattendue et inéluctable crée dans les populations des peurs parfois incontrôlées et des retours vers la religion, voire la religiosité et la superstition.
La peste du milieu du XIVe siècle, apparue en Europe peu après le déclenchement de la Guerre de Cent ans (1337-1453), eut aussi des conséquences sociales, parfois subsidiaires, comme l'apparition de processions de flagellants, et parfois très graves, comme la multiplication des persécutions contre les Juifs ou le meurtre de tous ceux que les villageois considèrent comme « différents », attardés mentaux, « sorcières » ou « étrangers ». Le repli des communautés et la méfiance à l'égard des voyageurs peuvent toutefois mener à des mesures de prophylaxie utiles. Ainsi l'isolement préventif des arrivants pendant quarante jours est décidé par Raguse (actuellement Dubrovnik) en 1377, ce qui préserve la ville. La pratique se répand dans les ports (Venise, Marseille) puis sur terre, la quarantaine étant un des seuls moyens d'enrayer le développement de la maladie dans les sociétés anciennes.
Les épidémies sont permanentes et n'ont pourtant pas toutes les mêmes retentissements dans l'opinion. Ce qui provoque la panique est la suspicion d'incapacité du système de santé, dans l'Antiquité comme de nos jours. Et, en l'absence de traitement, ceux qui le peuvent suivent le conseil du médecin Galien (129-216) qui préconise, lors de l'épidémie de variole dite « peste antonine », en 166-168, sous le règne de l'empereur Marc-Aurèle (161-180), de se réfugier à la campagne. L'isolement des malades ou du moins leur séparation d’avec les bien-portants est, en toute logique, la mesure la plus efficace pour interrompre la progression du mal. A toute époque, c'est aux politiques et aux gouvernants qu'il incombe de faire respecter les règles et d'agir pour prévenir la propagation du mal.
Si les conséquences démographiques et économiques sont immenses et parfois étendues dans le temps, les épisodes précédents montrent qu'aucune société n'est à l'abri des épidémies qui ne connaissent ni passeports ni frontières, et aussi que les populations oublieuses, aussi gravement touchées soient-elles, reprennent leurs activités. À la peste noire a succédé la Renaissance du Quattrocento et quelques décennies plus tard, pour les historiens, l'entrée progressive dans l'Early Modern Europe ».
Informations complémentaires
En savoir plus
> Laboratoire DYPAC
> Evelyne Samama

Légende image : Arnold Böcklin
Basel 1827–1901 San Domenico
Die Pest, 1898The Plague
La Peste
Tableau exposé au Kunstmuseum Basel (Musée d'art de Bâle).