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Peut-on deviner les montagnes à travers les nuages de Vénus ?

L’atmosphère de Vénus est si épaisse qu’il a toujours été totalement impossible de voir au travers, même avec les télescopes les plus puissants : le relief de notre planète jumelle n’a été révélé qu’avec l’usage de radars et les premières sondes spatiales se posant à sa surface. Mais pour la première fois, une équipe internationale, dont plusieurs chercheurs du LATMOS (CNRS/UVSQ), a réussi à « deviner » les montagnes de Vénus à travers son atmosphère.

Grâce à la camera VMC de la sonde Venus Express de l’ESA, les chercheurs ont constaté que les nuages, lorsqu’ils étaient observé en ultra-violet, apparaissaient  plus brillants  au-dessus du grand massif montagneux d’Aphrodite Terra. Ils ont constaté que la vitesse du vent y chutait d’environ 18%, et démontré comment cette diminution entrainait une plus grande brillance des nuages.



Texte écrit par le premier signataire de la publication, Jean-Loup Bertaux.


La planète Vénus est souvent qualifiée de soeur jumelle de la Terre qui a mal tourné. En effet, la température au sol y est de 450° C, à cause de l’effet  de serre dû à l’épaisse atmosphère de dioxyde de carbone (CO2). Elle est aussi entièrement voilée d’une épaisse couche nuageuse qui s’étend jusqu’à 70 km au-dessus de la surface. De l’extérieur, le sommet des nuages apparaît très homogène, sauf quand on scrute la planète en lumière ultra-violette. Des détails apparaissent alors, plus ou moins sombres, dont les déplacements ont permis de découvrir en 1961 que les nuages se déplaçaient à grande vitesse d’est en ouest (de l’ordre de 100 m/s ou 360 km/h). On a d’abord cru que Vénus tournait sur elle-même à cette vitesse, un tour complet en 4 jours. Il n’en est rien : elle tourne beaucoup plus lentement, en 243 jours, mais dans le même sens que les nuages. On a donc qualifié de « super-rotation » ce régime des vents à haute altitude.

D’autre part, les observations au radar qui permettent de percer les nuages (notamment la mission américaine Magellan) ont établi des cartes détaillées de la surface de Vénus, où on trouve des montagnes, sans doute d’origine volcanique.

C’est dans ce contexte qu’une équipe européenne (France-Allemagne-Russie), en analysant des années de mesures recueillies par la caméra VMC de la mission Venus Express de l’ESA (entre 2006 et 2014), vient de publier une surprenante découverte, liant ce qui se passe au sommet des nuages au relief montagneux sous-jacent, qui se trouve pourtant bien au-dessous. Ils ont en effet constaté que les nuages étaient moins sombres en UV au dessus du grand massif montagneux d’Aphrodite Terra, et que le vent y était fortement ralenti, passant à 82 m/s au lieu de 100 m/s en moyenne.

C’est un peu comme si les nuages au-dessus de l’Himalaya étaient plus brillants qu’ailleurs, et qu’ils se déplaçaient moins vite. Mais alors que sur terre, même les nuages les plus hauts sont proches des sommets, sur Vénus il s’agit de 65 km de différence d’altitude. C’est cependant par analogie avec un cas terrestre similaire que les chercheurs ont pu proposer un mécanisme explicatif pour Vénus.

Au niveau du sol de Vénus, le vent est très faible, mais la densité est très grande : 90 fois la densité atmosphérique terrestre. Le passage de l’air sur la montagne peut donc provoquer la génération d’ondes orographiques (ou de relief) : ondes de gravité, sorte de vagues d’air, qui dans certaines conditions réunies sur Vénus, peuvent se propager vers le haut en s’amplifiant. Arrivées un peu en-dessous du sommet des nuages, leur propagation verticale s‘arrête et elles déferlent brutalement, comme les vagues de la mer au bord du rivage. Ces ondes sont fixes géographiquement par rapport aux montagnes de Vénus, tandis que le vent normal vers 65-70 km atteint une vitesse de 100 m/s par rapport au sol : en conséquence leur déferlement constitue un obstacle à l’écoulement, un frein qui explique le vent plus faible observé un peu en aval des reliefs.

Mais l’écoulement horizontal continue, la vitesse du vent augmente alors pour retrouver sa vitesse moyenne de 100 m/s. Cette ré-accélération provoque au sommet des nuages un étirement de la masse d’air horizontale, une sorte de vide se forme qui provoque une aspiration de l’air qui se trouve en-dessous. Or, comme on constate avec Venus Express que les nuages sont alors plus sombres en UV, cela démontre que cet air qui vient du bas est chargé d’un composé (encore non-identifié) qui absorbe le rayonnement UV solaire. On soupçonnait déjà que la source de l’absorbant UV de Vénus venait d’en-dessous: en voilà une nouvelle preuve éclatante, si l’on peut dire quand il s’agit de nuages sombres !

Mais une autre observation de Venus Express vient conforter ce schéma de façon complètement indépendante. Le spectromètre infra-rouge SPICAV IR peut détecter la vapeur d’eau au sommet des nuages, et a aussi relevé une zone géographique où il y en a plus qu’ailleurs : la même zone que les nuages sombres en UV. Et ceci s’explique très bien, car on sait que, plus on s’enfonce dans l’atmosphère au-dessous du sommet des nuages, plus l’air est riche en vapeur d’eau. Donc, quand le vent re-accélère, cela aspire l’air qui est en-dessous, chargé en absorbant UV et en vapeur d’eau.

Les modèles de circulation générale de l’atmosphère de Vénus sont construits comme ceux qu’on utilise pour la prévision de la météorologie terrestre. L’un des plus sophistiqués est le modèle français du Laboratoire de Météorologie Dynamique. Bien qu’il soit capable de reproduire la super rotation observée sur Vénus, et qu’il prenne en compte le relief exact de la planète, il n’a pu reproduire les présentes observations de Venus Express. Cela demeure donc un objectif théorique stimulant de trouver l’ingrédient qui manque au modèle pour reproduire les observations. Ce nouveau phénomène d’origine orographique impacte le régime des vents, et il s’oppose à la super-rotation. Il faudra donc en tenir compte pour une description précise de la façon dont est générée et entretenue la super-rotation de Vénus.

Cette interaction d’ondes de gravité stationnaires avec le vent horizontal a été pour la première fois proposée pour la Terre en 1981 par le dynamicien américain Lindzen, pour expliquer le comportement saisonnier du vent dans la mésosphère terrestre, vers 50-70 km d’altitude.

On peut aussi noter que les deux petits ballons injectés en 1985 dans l’atmosphère de Vénus au cours des missions soviétiques Vega-1 et Vega-2, à l’instigation de Jacques Blamont, ne s’étaient pas comportés de façon identique pendant leur dérive de deux jours à 53 km d’altitude: le ballon de Vega-2, passant au-dessus du massif d’Aphrodite Terra, avait eu une trajectoire plus perturbée, et une dérive plus lente, que celle du ballon de Vega-1 passant plus au nord de la montagne sur une région de plaine. La génération d’ondes de gravité par le vent au sol soufflant sur Aphrodite Terra avait alors déjà été évoquée pour expliquer le comportement différent des deux ballons.