Aller au contenu

| | |

Vous êtes ici : UVSQ RechercheActualités de la recherche | Innovation

3 questions à Marie Herr autour de la pénurie de médicaments en France

Le 29 février 2024, l’Assemblée nationale instaure une obligation de stocks planchers pour remédier à la pénurie de médicaments en France, problème de santé publique fréquent. Explications par Marie Herr, épidémiologiste.

le 15 février 2024

Publié le 15 février 2024
La première proposition de loi consacrée à la lutte contre les pénuries de médicaments prévoit également un durcissement des sanctions à l’égard des industriels qui ne remplissent pas leurs obligations d’approvisionnement.
En effet, une enquête parue en 2023 indique que plus d’un français sur trois ont été confrontés à une pénurie en ville comme à l’hôpital. Est désignée comme pénurie toute rupture de stock qui excède 72 heures. Ce problème n’est pas nouveau, mais il s’est intensifié depuis 2018. Cela concerne toutes les aires thérapeutiques, et des familles de médicaments en particulier telles que les antibiotiques, les psychotropes, les anticancéreux, par exemple. C’est un phénomène qui impacte autant les patients que les soignants, médecins et pharmaciens. Explications avec Marie Herr, épidémiologiste et Professeure d’université à l'UFR Simone Veil-Santé, Praticienne hospitalière en Santé publique à l'Hôpital Raymond Poincaré AP-HP et chercheuse au Centre de recherche en Epidémiologie et Santé des Populations (CESP), Inserm U1018.

1/ Comment s'explique la pénurie de certains médicaments en France ?
« Trois raisons principales peuvent l’expliquer. La première, c’est la production concentrée délocalisée. La majeure partie de la production de médicaments a été délocalisée en Asie et, en concentrant les lieux de production, cela nous rend dépendants, au niveau mondial. La deuxième, c’est l’augmentation de la demande de médicaments. Cette demande croissante est autant le fait des pays développés d’un côté qui ont une population vieillissante, que des pays en voie de développement comme la Chine ou l’Afrique dont les populations ont un meilleur accès aux soins. La troisième, c’est l’arrêt de production de certains médicaments, souvent anciens, décidé par les industriels qui considèrent qu’ils ne sont pas rentables. Historiquement, il faut noter que c’est en pratiquant une baisse des prix sur les anciens médicaments que l’on a financé l’innovation. »

2/ Comment pallier cette pénurie ?
« En France, en cas de pénurie, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) met en place un contingentement afin d’éviter le phénomène de stockage. Pour prévoir la pénurie, les industriels doivent fournir un plan de gestion des pénuries. Il est essentiel de prévoir des alternatives et des solutions afin d’anticiper ces pénuries concernant des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur qui nécessitent un stock obligatoire de deux mois.
Il existe une liste de médicaments essentiels resserrés avec une période de stockage obligatoire plus longue.
A plus long terme, il serait nécessaire de réfléchir à la valorisation des anciens médicaments afin de les rendre attractifs pour les industriels, et de lutter contre les pénuries mondiales par rapport aux choix stratégiques des industriels. De plus, il faudrait veiller à relocaliser la production à l’échelle de l’Europe, et ce à toutes les étapes de la chaîne.
Fait marquant, même le Doliprane a fait l’objet d’une pénurie en 2022. Malgré une production record, la demande liée à la période post-Covid a dépassé l’offre et ce médicament, le plus consommé en France, s’est retrouvé en rupture de stock.

3/ Quelles sont les conséquences de ce phénomène ?
« Du côté des professionnels de santé, cela engendre une charge de travail plus importante, pour les pharmaciens aussi bien en ville que dans les hôpitaux.
On observe également une répercussion sur l’organisation du travail concernant les dispositifs médicaux qui nécessitent une gestion particulière.
Du côté des patients, il existe un risque, souvent sous-évalué, à adapter et changer le traitement à cause de la pénurie des médicaments car cela peut engendrer des erreurs de dosage, par exemple. »