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Le nucléaire, énergie verte ?

le 9 février 2023

Publié dans la Revue UVSQ n°10

Le 6 juillet 2022, le Parlement européen a approuvé le label vert accordé en février au gaz et au nucléaire. Ce label était jusqu'alors réservé aux énergies renouvelables. François-Marie Bréon répond à nos questions sur cette énergie.

Gaz et nucléaire sont désormais sont désormais reconnues comme deux sources d'énergie pouvant contribuer à la limitation du changement climatique.
François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE – UVSQ/CEA/CNRS), rattaché à l'OVSQ, répond à nos questions sur cette énergie.

L’énergie nucléaire reconnue énergie verte, est-ce une réalité ?
Aucune énergie n’est sans impact sur l’environnement. Les énergies fossiles émettent des quantités importantes de CO2 ; les énergies renouvelables nécessitent de l’espace et des infrastructures importantes. Les analyses montrent que, pour produire la même quantité d’énergie que les énergies renouvelables, l’énergie nucléaire émet moins de CO2, et nécessite moins de matériaux et moins de surface, ce qui en fait donc une énergie verte à mes yeux.

Se pose quand même la question du coût du nucléaire…
Le coût moyen du nucléaire pour les centrales déjà construites est de l’ordre de 50€ par MWh produit. Il est typiquement deux fois plus cher pour le nouveau nucléaire. Bien que le coût de la production de l’éolien et du solaire soit inférieur à celui du nucléaire, ces énergies intermittentes nécessitent des solutions de stockage et des réseaux de transport qui s’avèrent onéreux. Selon le rapport du Réseau de transport d'électricité (RTE)*, ces dispositifs nécessaires dans un scénario 100% renouvelable rendent le système complet plus cher que pour un mix électrique avec du nucléaire.

On évoque souvent le problème posé par les déchets du nucléaire. Qu’en est-il ?
L’enfouissement en profondeur des déchets nucléaires est une option validée par les rapports d’experts scientifiques et les études géologiques. C’est l’option déjà retenue par plusieurs pays du monde, comme la Suède ou la Finlande qui ont débuté les travaux. Les études faites dans le site pilote de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) à Bure, dans la Meuse, à 500 mètres de profondeur dans une couche d’argile stable depuis plusieurs millions d’années, montrent que les radionucléides y resteront piégés le temps nécessaire à ce qu’ils deviennent inertes, et qu’ils n’auront donc aucun impact sur la biosphère en surface.

Des accidents se sont déjà produits par le passé. Quels sont les risques ?
De fait de l’extrême radioactivité du combustible, la production d’électricité nucléaire reste une activité dangereuse dont il faut limiter les risques. En France, toutefois, aucun accident n’a eu lieu depuis 40 ans. Trois accidents graves sont à déplorer dans le monde : à Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979, à Tchernobyl en Ukraine en 1986 et à Fukushima au Japon en 2011. Ces trois accidents ont entrainé des évacuations, très temporaires pour le premier, mais parfois définitives pour les personnes concernées pour les autres. En revanche, les effets sanitaires sont beaucoup plus modestes que ce qui est souvent présenté. Ainsi, l’hydraulique a beaucoup plus tué que le nucléaire et l’impact sanitaire du nucléaire est sans commune mesure à celui de la pollution du charbon ou des voitures que peu demandent d’interdire. Il me paraît important de mettre en balance les risques et les bénéfices.

Pourquoi vit-on une crise du nucléaire en France ?
Sur les 56 réacteurs nucléaires que compte la France, jusqu’à 32 ont été à l'arrêt en même temps à l'été 2022. La production nucléaire de ces derniers mois* n’a jamais été aussi faible depuis que le parc nucléaire a été construit il y a une quarantaine d’années. C’est donc une crise majeure du nucléaire que nous vivons aujourd’hui en France. C’est dû à la combinaison de plusieurs causes : d’abord, plusieurs réacteurs arrivent à 40 ans et nécessitent une maintenance dans le cadre du « grand carénage », un programme industriel de rénovation et de modernisation qui vise à améliorer la sûreté et à poursuivre l’exploitation pendant au moins 10 ans. Ensuite, il est classique que la maintenance courante soit concentrée pendant l’été, lorsque la consommation est faible, en visant une disponibilité maximale l’hiver quand la consommation d’énergie est à son apogée. Enfin, des problèmes de corrosion ont été détectés sur les réacteurs les plus récents, nécessitant des investigations et, dans certains cas, des réparations.
La France a donc été ces derniers mois très importatrice d’électricité, ce qui est une situation exceptionnelle. EDF annonce que la grande majorité des réacteurs pourront redémarrer dans les prochains mois pour être disponibles au pic de consommation de l'hiver. Je suis dubitatif au vu du retard pris pour ceux qui devaient revenir en septembre.

Quid de l’objectif de neutralité carbone 2050 ?
« Les analyses faites par RTE** indiquent que l’industrie française n’est pas capable de construire un parc nucléaire au rythme où elle l’a fait dans les années 1970-1980. Il n’est donc pas possible de baser la production d’électricité sur une dominance de nucléaire à l’échéance 2050. Dans un objectif de neutralité carbone à cette échéance, il faudra avoir recours aux énergies renouvelables les plus productives, à savoir l’éolien, le photovoltaïque et le biométhane (obtenu par décomposition de la matière organique en conditions pauvres en oxygène). 
Pourtant, le rapport bénéfice/risque du nucléaire me parait indéniable. Dans un contexte d’urgence climatique comme le nôtre, le nucléaire est un des outils dont nous disposons pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles. L’objectif de neutralité carbone 2050 sera beaucoup plus difficile à atteindre si on choisit de se passer du nucléaire.

Production française électricité 2019 RTE EDF


> Au coeur de l'actu, avec François-Marie Bréon, spécialiste de l'énergie nucléaire

 
Informations complémentaires
En savoir +
* Interview réalisée en septembre 2022
**Les équipes du Réseau de transport d’électricité (RTE) ont rendu en octobre 2021 un rapport autour de six scénarios de transition énergétique permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici trente ans.
Crédits photos : CEA ; EDF.
Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE – UVSQ/CEA/CNRS)