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Les Surligneurs, quand le Droit dénonce les fake news

le 5 octobre 2020

Interview réalisée en mars 2019

Vincent Couronne est chargé d’enseignement en droit à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et chercheur associé au laboratoire Versailles Saint-Quentin Institutions Publiques (VIP). En 2016, il crée Les Surligneurs pour décrypter les allégations de nos femmes et hommes politiques.

Entre politique, journalisme et recherche de la vérité, rencontre avec un chercheur qui met en lumière les dérives de notre société hyper-communicante. 

Comment sont nés « Les Surligneurs » ?
À l’été 2016, nous avons senti le vent des fake news arriver des pays anglo-saxons. La campagne du Brexit en véhiculait beaucoup, aux États-Unis Donald Trump en faisait également grand usage… Nous ne pouvions pas rester les bras croisés ! Nous avons commencé à « surligner » tous les propos tenus publiquement.
Au début, nous étions 2, un ami web-designer et moi. Nous pensions faire juste un petit blog mais ça a tellement bien marché qu’on a vite dû voir plus grand. Mon laboratoire à l’UVSQ, le VIP, nous a largement accompagnés et soutenus. Cette caution scientifique a été essentielle.
Rapidement d’autres enseignants-chercheurs nous ont rejoints bénévolement. Ils sont issus de l’UVSQ mais aussi des universités de Strasbourg, Nantes ou encore Aix-en-Provence.

Mission de service public ? Journalisme ? Recherche scientifique ? Comment qualifier « Les Surligneurs » ?
Les Surligneurs, c’est plusieurs choses à la fois mais c’est avant tout un engagement de quelques dizaines de chercheurs et chercheuses dans un projet citoyen qui a pour but d’améliorer le débat public. C’est aussi une valorisation des recherches menées par ces spécialistes. Même si nous sommes très sollicités pour notre expertise par de grands médias comme Le Monde et Libération, nous restons sur notre positionnement d’universitaires.

Alors vous décortiquez toute l’information ?
Nous faisons du legal checking, ce n’est pas une vérification des faits mais une vérification du Droit : telle ou telle promesse faite par une personnalité politique est-elle tenable au regard du droit français ou européen ? Nous ne pouvons pas être exhaustifs et tout décortiquer. Alors nous nous limitons aux déclarations qui ont une très grande audience, par exemple dans un grand média, lors d’un meeting. Par contre, nous ne relevons pas toutes les petites phrases et les raccourcis publiés sur Twitter. De même, nous ne surlignons que les politiques qui ont de l’influence et une certaine audience.

Vous traitez principalement d’actualités politiques, à qui s’adressent vos analyses ?
Notre public aussi a évolué. Au départ nous voulions vraiment cibler le grand public. Mais nous nous sommes aperçus que même simplifié, le discours juridique reste aride. Aujourd’hui, notre première cible, ce sont les journalistes mais aussi les politiques eux-mêmes.

Aujourd’hui où l’information est partout, comment sensibiliser le public aux fake news ?
Effectivement, il y a aujourd’hui une modification radicale du marché de l’information. Il faut faire de l’éducation aux médias et à l’autocritique dès le plus jeune âge. Certes, nous sommes exposés à un gros flux d’informations qui excitent notre cerveau. Nous devons donc éduquer notre cerveau à hiérarchiser ces informations. Car il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse qui serait d’être insensible, au risque de ne plus rien prendre au sérieux.

« Nous ne sommes pas plus crédules qu’avant, nous sommes juste noyés par l’information qu’il nous faut trier. » 
Vincent Couronne 

Pourquoi sommes-nous si perméables aux fake news ?
Les neurosciences parlent très bien de cette prédisposition à la paresse cognitive qui est due au fait que notre cerveau n’est pas fait pour traiter un nombre d’informations trop important. Les neurosciences ont démontré que notre cerveau avait besoin des préjugés pour se reposer. Il a besoin de créer des catégories, c’est un mécanisme de survie. Gérald Bronner, un sociologue français explique qu’il n’y a pas eu de changement anthropologique entre l’humain d’aujourd’hui qui consulte son
smartphone à longueur de journée et celui qui vivait dans les bois il y a quelques milliers d’années. Dès qu’une mauvaise nouvelle lui arrive, il la prend au sérieux et l’amplifie. C’est un réflexe de survie. Nous ne sommes pas plus crédules qu’avant, nous sommes juste noyés par l’information qu’il nous faut trier.

La place du Droit devient donc de plus en plus importante dans le débat ? 
C’est une très bonne chose que la culture du Droit se diffuse. Cela permet de replacer le débat là où il doit être et de ne pas promettre des choses infaisables.
Mais le revers de la médaille c’est que des politiques utilisent le Droit à mauvais escient. Par exemple on entend souvent des personnalités brandir des articles de loi comme justificatif d’une mesure ou d’une promesse. Mais en ne citant qu’une partie d’un article, en omettant les alinéas sur les exceptions et précisions à cet article, l’argument ne tient pas.
Je regrette que le Droit soit instrumentalisé pour rendre crédibles des propos douteux. C’est une conséquence malheureuse du retour du Droit dans le débat public.

Vous êtes enseignant, sensibilisez-vous les étudiants et étudiantes à votre projet ?
Bien sûr ! Car Les Surligneurs ont un aspect pédagogique que je ne soupçonnais pas au début du projet. Des étudiants et étudiantes en Droit de l’UVSQ nous ont rejoints au sein de cellules de veille. On les réunit, via une messagerie instantanée, autour de chercheuses et chercheurs spécialistes d’un domaine (droit constitutionnel, droit européen, droit public…). La cellule se tient en alerte. Si elle détecte une petite phrase ou déclaration qui lui parait suspecte, le sujet est soumis au groupe de travail puis la cellule élabore les premiers éléments
de réponse. Le sujet est ensuite proposé au comité rédactionnel des Surligneurs, relu et validé plusieurs fois avant publication. Tout cela va très vite et demande une grande réactivité. Ce n’est pas évident car cela ne correspond pas aux habitudes de travail des universitaires.
Néanmoins cette temporalité correspond bien à nos jeunes étudiants pour qui Les Surligneurs sont au demeurant une expérience enrichissante à travers laquelle ils acquièrent de nouvelles aptitudes d’analyse et d’esprit critique.

Retrouvez Les surligneurs sur Twitter : @LesSurligneurs
Informations complémentaires
Surlignons quelques chiffres !
300 le nombre de faits surlignés depuis 2016
48 ou 72 heures le temps de réaction des surligneurs pour vérifier une déclaration
20 le nombre de chercheurs et chercheuses qui constituent le noyau dur du projet
30 le nombre d’étudiants et étudiantes en Droit mobilisés pour faire de la veille
1 million le nombre de visiteurs sur le site web 
www.lessurligneurs.eu pendant la campagne présidentielle française de 2017