"Vers une chaîne de valeur centrée sur l'innovation " par Sylvain MBONGUI KIALO

La littérature en Sciences de Gestion recense de nombreuses réflexions, analyses et recherches concernant l’innovation, ses avantages et ses conséquences sur la performance des organisations. Depuis les travaux pionniers de Schumpeter qui a sans conteste associé son nom à l’innovation, les remises en question ont été nombreuses et le sujet reste toujours un terrain de recherche privilégié du monde académique. Mes recherches s’inscrivent dans ces débats et m’ont progressivement conduit à mener une réflexion approfondie sur les implications d’une recherche en sciences de gestion centrée sur l’innovation afin d’établir un véritable cadre de synthèse pour donner un nouveau sens à mes analyses, et à investiguer notamment les questions de validité qui y sont liées.

Organisés autour de trois axes, mes travaux empruntent une trajectoire qui permet d’aboutir à une chaine de valeur centrée sur l’innovation. Ce qui constitue une réponse à la littérature en management de l’innovation qui a peu investigué jusqu’à présent cette thématique, alors qu’il apparaît important de comprendre les mécanismes de fonctionnement d’une chaine de valeur centrée sur l’innovation. De l’utilisation du brevet comme input dans le processus d’innovation, étudiée dans le cadre de ma thèse, à la co-innovation avec les clients pour aboutir à la diffusion des innovations, l’innovation y est analysée suivant une logique de chaîne d’activités qui part des intrants pour aboutir aux utilisateurs finaux. Dans ce contexte, mes trois axes de recherche m’ont conduit à mener une réflexion approfondie sur les activités d’exploration, de traduction, d’intégration et d’exploitation conduisant à alimenter le processus d’innovation et à créer de la valeur.

Ma thèse puis les travaux qui y sont plus ou moins directement liés, constituent le premier axe de mes recherches dédiées à l’utilisation du brevet comme input dans le processus d’innovation. Plusieurs de travaux ont permis d’apprécier la diversité des rôles du brevet en le présentant notamment comme outil de protection d’une compétence particulière, comme garant d’un avantage concurrentiel et comme outil de création de valeur. Si cette diversité de rôles est reconnue de manière croissante dans la littérature, peu de recherches ont étudié l’utilisation du brevet comme input dans le processus de l’innovation. C’est précisément là l’objet de ce premier axe qui propose de montrer comment le brevet peut alimenter et orienter le processus d’innovation à l’échelle d’un processus outside-in, c’est-à-dire un processus qui fait appel aux ressources extérieures pour enrichir les bases de connaissances de l’entreprise. Après avoir exploré l’utilisation du brevet dans le processus d’innovation, je me suis attaché à l’étude de la coinnovation avec le client comme source d’information. Ce deuxième axe vient enrichir les travaux sur la co-innovation en fournissant un nouvel éclairage sur la façon d’intégrer le client dans le processus d’innovation. Il s’agit plus spécifiquement de comprendre et analyser les difficultés d’intégration du client afin d’identifier les leviers sur lesquels les entreprises pourront agir pour stimuler la créativité du client. Le troisième et dernier axe de mes travaux porte sur la diffusion des innovations. Afin de dépasser les limites des recherches antérieures, ce troisième axe propose de mobiliser un cadre théorique original issu de la sociologie de traduction afin d’enrichir la compréhension de la diffusion des innovations. J’ambitionne de contribuer à éclairer les problèmes de diffusion de ces innovations qui s’expriment à travers des processus complexes et collectifs d’appropriation. Un tel angle d’approche amène, sur le plan théorique, à conceptualiser plusieurs éléments (écotourisme, application numérique) comme des innovations sociales, ce qui permet d'étudier leur diffusion au sein d'un corps social pour mieux appréhender le comportement individuel et collectif du public cible, et offrir la possibilité de mieux cerner les conditions de leur appropriation dans une perspective tourbillonnaire.

Les recherches menées au sein des trois axes ci-dessus permettent de comprendre que l’innovation est la résultante d’un enchaînement d’activités transformant des « inputs » en « outputs » qui sont ensuite diffusés et/ou commercialisés au sein de la société. Pour créer de la valeur, les différentes activités s’appuient sur une sorte d’intelligence collective qui rassemble des acteurs très variés à la fois internes et externes. Ainsi, suivant une logique clairement établie, mes recherches mettent en évidence plusieurs activités et processus interconnectés dont la combinaison et les interactions génèrent, aux yeux des différentes parties prenantes, une certaine valeur. A l’issue de ce travail, une modélisation d’une chaine de valeur centrée sur l’innovation a été proposée. Si cette modélisation donne un premier cadre simplifié et permet d’initialiser un débat sur la chaine de valeur, il est essentiel d’indiquer que c’est une première brique (en cours de développement) qui sera capable d’aider les stratèges de l’innovation à mieux comprendre le processus de création de valeur à partir de la veille technologique et de l’intelligence « client ». En effet, il serait possible, à partir d’un tel modèle, de mieux comprendre les mécanismes de création de valeur et d’analyser les activités les plus créatrices de valeur, fournissant ainsi un outil d’analyse stratégique susceptible d’aider à appréhender la stratégie et le modèle d’affaires d’une organisation d’une manière différente. Toutefois, le chemin est encore long jusqu’à un modèle robuste. Chaque élément de la chaîne doit être soumis à une analyse critique approfondie, tant les concepts utilisés sont encore flous et polysémiques au regard de l’état actuel de la littérature existante. Mots-clés : Innovation, chaine de valeur de l’innovation, co-innovation, processus d’innovation, diffusion des innovations.

Literature in Management Sciences has revealed numerous debates, reflections, analysis and research concerning innovation, its advantages and its consequences on the performance of organizations. Since the pioneering work of Schumpeter, whose name is, undoubtedly, associated with innovation, there have been a lot of disagreements and dissatisfaction and yet innovation is still a privileged area of research in the academic world. My research forms part of these debates and has gradually oriented me towards carrying out an in-depth reflection on the implications of research in management sciences focused on innovation, in order to establish a concrete framework with the aim of providing a new meaning to my analyses, and also to investigate questions of validity.

Structured around three axes, my work follows a trajectory that leads to an innovation value chain. This is an obvious response to the innovation management literature which has, hitherto, insufficiently investigated this topic, one that could, nevertheless, be important for understanding the functioning of an innovation value chain. Starting from exploring the use of the patent as an input in the innovation process, studied as part of my doctoral thesis, I then worked on co-innovation with customers as well as on the dissemination of innovations. Along this trajectory, innovation is analyzed under the logic of a chain of connected activities which starts from inputs and terminates with users, at the end of the process. In this context, my three axes of research have driven me into carrying out an in-depth reflection on the activities of exploration, translation, integration and exploitation leading to fuelling the innovation process and creating value.

My thesis and the work directly linked to it constitute the first axis of my research dedicated to the use of patent as an input in the innovation process. Several studies have investigated the diversity of the roles of patent, presenting it, in particular, as a tool for protecting a specific skill, as a guarantor of a competitive advantage and as a tool for value creation. Although this diversity of roles is increasingly being recognized in the literature, not sufficient research has studied the use of patents as an input in the innovation process. This is precisely the purpose of this first axis which proposes to show how patent can fuel and guide the innovation process in the context of an outside-in process, a process which draws on external resources to enrich the company's pools of knowledge. After exploring the use of patents in the innovation process, I focused on the study of co-innovation involving the customer as a source of information. This second axis enriches work on co-innovation by providing new insight into how to integrate the customer into the innovation process. More specifically, it implies understanding and analyzing the difficulties of integrating the customer into the co-innovation process in order to identify the levers with which companies can act to stimulate the customer's creativity. The third and final axis of my work concerns the diffusion of innovations. In order to overcome the limits highlighted from previous research, this third axis proposes to mobilize an original theoretical framework from the sociology of translation in order to enrich the understanding of the diffusion of innovations. Through this work, I am contributing towards shedding light on the problems of the diffusion of these innovations which are manifest in the complex and collective processes of appropriation. Such an angle of approach leads, on a theoretical level, to conceptualize several elements (ecotourism, digital application) as social innovations, which facilitates the study of their diffusion within a social body in order to better understand individual and collective behavior and comprehend the conditions of their appropriation from a « tourbillonnaire », or swirling, perspective.

The research carried out around the above three axes helps to understand that innovation is the result of a sequence of activities transforming “inputs” into “outputs” which are then disseminated and/or sold within the society. To create value, the different activities rely on a kind of collective intelligence which brings together a variety of internal and external actors. Thus, following a clearly established logic, my research highlights several interconnected activities and processes whose combination and interactions generate, in the eyes of the different stakeholders, a certain value. At the end of this work, a modelling of an innovation value chain was proposed. Whereas this modelling gives the first simplified framework and makes it possible to initiate a debate on the value chain, it is essential to indicate that it is just the first brick (under development) which will provide substance to strategists of innovation to better understand the value creation process based on technological monitoring and “customer” intelligence. Indeed, it would be possible, from such a model, to better understand the mechanisms of value creation and to analyze the most value-creating activities while providing a strategic analysis tool capable of helping to understand the strategy and business model of an organization in a different way. However, there is still a long way to go before a robust model is attained. Each element of the chain must be subjected to some in-depth critical analysis, as the concepts used are still vague and polysemous if we consider the current state of the existing literature. Keywords: Innovation, innovation value chain, co-innovation, innovation process, diffusion of innovations.