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“L’université doit s’adapter au monde qui change, pas le regarder passer” - Interview de Loïc Josseran

le 2 décembre 2025

Mis en ligne le 2 décembre 2025

Médecin de formation et président de l’Université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), Loïc Josseran défend une université ancrée dans le réel, au service de la société. Il revient sur la réforme des études de santé et le passage au tout LAS et nous expose les grands chantiers de l’UVSQ : intelligence artificielle, spatial, recherche partenariale et alliance Paris-Saclay.

Propos recueillis par Julie Mleczko dans Studyrama 


Vous avez été médecin et avez une longue expérience auprès des responsables de la santé publique en France. Que pensez-vous d’une éventuelle nouvelle réforme de la première année d’accès aux études de santé ?


"Depuis Parcoursup, la demande explose : près de mille étudiants de plus chaque année. Ce n’est pas qu’un effet de plateforme : les études de santé attirent notamment par la sécurité de l’emploi qu’elles représentent, alors que l’Université souhaite elle, attirer des vocations.

À l’UVSQ, nous passons désormais à une « One LAS » dès septembre 2026, car ce modèle est plus formateur et plus ouvert. Autrement dit, nous arrêtons la PASS ! Cette LAS (Licence Accès Santé) unique permet la poursuite d’étude, elle est ouverte aux filières médicales et paramédicales (Kiné, grâce à un parcours dédié ou Infirmier, grâce à une équivalence accordée en cas d’échec à une autre filière) et elle répond parfaitement à l’arrêté de 2019 qui encourage la « marche en avant » dans le déroulé des études en encourageant la diversification des profils. Nous espérons effectivement avoir des profils plus mûrs.

Nous offrirons une voie d’accès unique et globale (MMOPIK : Médecine, Maïeutique, Odontologie, Pharmacie, Infirmier et Kiné). Notre 1re année de LAS proposera un enseignement commun en santé, un enseignement commun hors santé qui abordera des cours de Droit, de connaissances de l’IA etc. et 2 parcours spécifiques au choix : le parcours Rééducation et Réadaptation (RR) pour ceux qui se destinent aux études de kiné et le parcours Sciences et technologies pour la santé, plus généraliste. Tous les cours, pendant les 3 années, auront lieu à l’UFR Simone Veil - Santé de l’UVSQ, il n’y aura plus de dispersion de nos étudiants sur les différents campus comme cela était le cas jusqu’à présent pour les LAS. Nous serons les seuls à fonctionner ainsi en France.

Outre la volonté de retrouver un véritable « esprit de promo », l’intérêt de la Licence Accès Santé, c’est la poursuite d’étude. Tous les étudiants ne deviendront pas médecins, mais ils auront une licence qui ouvrira vers des formations de master et même d’école d’ingénieurs (2 écoles d’ingénieurs réputées se sont dites prêtes à étudier les profils de nos étudiants) qui leur permettront d’évoluer dans le monde de la santé et d’exercer les métiers de la santé de demain. Notre mission, c’est de préparer ces jeunes à s’insérer dans la société.

Enfin, il faut le dire : les prépas privées et les années “P0” [appelée “Prépa zéro”, cette année se veut une année de transition entre le lycée et l’université ayant pour objectif de se préparer aux études de santé, NDLR] entretiennent une injustice sociale. Ces prépas coûtent entre 5 000 et 10 000 euros par an et ne garantissent rien. On a laissé l’accès aux études de santé, quasi gratuites en France, être confisqué par ce modèle. Beaucoup de lycéens croient qu’il faut absolument une prépa pour réussir (P0 ou en 1re année) ; c’est faux. Je préfère un bachelier motivé et travailleur à un étudiant qui a perdu un an dans une structure parallèle. Ces dispositifs contribuent à une sélection par l’argent, alors que l’université, elle, doit rester ouverte à tous. C’est notre mission de service public. À l’UFR Simone Veil – Santé, le tutorat organisé par les étudiants et étudiantes de 2e année est gratuit et accessible à tous. Grâce à ce parrainage, les étudiants de première année sont accompagnés autant dans leur bien-être que sur la pédagogie, dans un esprit d’entraide et de bienveillance. Et ça marche.”


Parlons maintenant de votre université. Pouvez-vous la présenter et en évoquer les spécificités ?


“L’UVSQ compte 23 000 étudiants, et non 15 000 comme on le lit encore parfois. C’est une université généraliste, de territoire, mais avec des spécificités fortes : la santé, l’environnement et le spatial. Et nous sommes un des membres fondateurs de l’Université Paris-Saclay.
Nous avons l’Observatoire de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (OVSQ), tourné vers les questions environnementales et spatiales : collaborations avec la NASA et l’Agence spatiale européenne, suivi de l’évolution du climat, études atmosphériques. Notre laboratoire LATMOS travaille sur Mars, Titan, et d’autres planètes. Nous avons déjà lancé trois nanosatellites.

Autour de cela, nous avons créé l’Académie du spatial, car le département des Yvelines est un territoire industriel du spatial : Ariane Group, de nombreux sous-traitants… Nous formons donc des techniciens et ingénieurs qui trouvent rapidement du travail.
Côté santé, nous sommes l’une des rares facultés en France à avoir trois IHU (Institut Hospitalo-Universitaire): sur le cancer, la vue (avec l’Hôpital des 15-20) et le sepsis.

Nos sciences humaines et sociales sont également très fortes : nous portons une grande partie des SHS de l’Université Paris-Saclay via notre Institut d’études culturelles et internationales (IECI) et notre UFR des Sciences sociales.
Enfin, notre faculté de droit et de science politique s’est distinguée : son laboratoire DANTE a été le seul du périmètre de l’Université Paris-Saclay invité au Sommet mondial de l’IA organisé par l’Élysée il y a quelques mois, preuve de notre excellence dans le droit des nouvelles technologies.
Au total, nous avons 37 laboratoires, deuxième force de recherche de l’Université Paris-Saclay.
Nous sommes revenus dans le classement de Shanghai (classement mondial des universités)– vers la 800ᵉ place – après l’avoir quitté lorsque nos forces avaient été intégrées à celles de l’Université Paris-Saclay.”
 

Justement, pouvez-vous rappeler la situation entre l’UVSQ et Paris-Saclay ?


“Depuis juillet, le modèle cible adopté par le CA de l’Université Paris-Saclay pour la sortie de la période expérimentale est l’Alliance Université Paris-Saclay, qui réunit les 3 universités : l’Université Évry Paris-Saclay, l’Université Paris-Saclay et l’UVSQ. Cette alliance vise à renforcer la cohérence du site tout en respectant l’identité de chaque université. La gouvernance reste à clarifier, car le conseil d’administration est celui de l’Université Paris-Saclay, et il nous faut maintenant poser les bases d’une construction à 3 dans laquelle chacun gagne.

Malgré cela, l’Alliance fonctionne : nous partageons nos formations, nos laboratoires et nos écoles doctorales. L’UVSQ pilote ou co-pilote aujourd’hui six Graduate Schools sur dix-huit, et participe à plusieurs projets communs de haut niveau.

Notre enjeu est de trouver l’équilibre entre contribution et reconnaissance. L’État a investi massivement dans la construction de l’Université Paris-Saclay : à nous d’aller au bout du projet sans nous effacer. Le modèle expérimental s’achève en 2026 ; il nous faut d’ici là un fonctionnement stable et lisible. L’UVSQ y contribue pleinement, en restant une université de recherche reconnue, capable de rivaliser à l’international tout en restant accessible : nos étudiants paient moins de 500 € par an là où MIT ou Harvard facturent 50 000 €. Être classés parmi les 800 meilleures universités du monde et dans les 25 premières françaises, dans ces conditions, est une belle performance et témoigne de l’engagement de toute l’Université dans la recherche et formation.”
 

Venons-en à la Maison de l’IA, un projet phare.


“Il s’agit d’une fédération de recherche et de formation à l’échelle de l’UVSQ.
L’idée est de rassembler nos forces sur l’intelligence artificielle, qui recouvre un phénomène profond, il ne s’agit pas seulement d’une mode.
Nous avons des chercheurs en maths, informatique, santé, droit, éthique… L’objectif est de faire dialoguer ceux qui conçoivent les modèles et ceux qui les utilisent.
En santé, par exemple, nous développons des projets d’IA pour l’analyse du mouvement des enfants, afin de détecter la douleur à partir d’images en temps réel.
En droit, nous travaillons sur l’automatisation de certaines analyses et sur les questions de propriété intellectuelle et de libertés publiques.

La Maison de l’IA est adossée au programme DataIA de Saclay, mais nous voulons d’abord fédérer nos équipes en interne. Nous sommes aussi membres du consortium Mistral, l’un des projets français majeurs en IA.
L’objectif : apprendre à nos étudiants à utiliser l’IA comme un outil, pas à la subir.
Quand Gutenberg a inventé l’imprimerie, les moines copistes ont protesté, mais cela a fait progresser l’humanité. Nous sommes à un moment similaire. L’idée est que chaque étudiant, quelle que soit sa discipline, ait une formation de base à l’usage de ces outils.
C’est essentiel pour en faire un levier de création et non une menace.”
 

Quels sont selon vous les grands enjeux pour l’université française ?


“L’université française offre des formations de grande qualité à prix très bas.
Nous sommes reconnus à l’international, et nous exportons nos savoir-faire : par exemple, nous avons signé un partenariat avec une université égyptienne pour créer une formation francophone en santé.
Mais nous devons composer avec des moyens limités. Notre développement passe donc par la formation continue, la recherche partenariale et les projets internationaux. Ici, à l’UVSQ, nous travaillons avec les entreprises du territoire : Airbus, Safran, Crédit Agricole, Atos, Thalès…
J’ai d’ailleurs nommé un chargé de mission Entreprises pour mieux connaître leurs besoins et adapter nos formations.
C’est crucial pour notre avenir : former des jeunes qui trouvent un emploi, et développer des contrats de recherche communs.”